Nous avons délaissé les philosophes et la thématique commencée il y a quelques mois pour entrer de plein pied dans le sujet de la maladie ! Le Covid-19 ayant pris toute la place et ne laissant plus aucun autre espace de réflexion. Et pourtant, plus que jamais, la maladie permet d’approfondir notre regard sur nous, sur nos peurs, sur notre vision du monde, sur notre manière d’appréhender la vie. Cet approfondissement nous permet de trouver les meilleures solutions pour traverser la période de maladie le mieux possible. Revenons donc à ce dernier article d’une série commencée en janvier. Il fait suite à l’article : La maladie est-elle psychosomatique ou pas ?
Dans cette émission de radio philosophique, qui a été le point de départ de cette série d’articles, la question était celle-ci : "La philosophie peut-elle guérir le corps ?". Je suis restée interloquée plus d’une fois par les propos des intervenants, cependant ce fut l’occasion de mettre en application mes convictions, à savoir que chacun de nous a son propre point de vue et qu’il est toujours "sa vérité". En tant que tel, chaque point de vue est totalement respectable car il prend racine dans nos vécus et nos croyances. Je poursuis donc avec la dernière affirmation, ci-dessous, des philosophes invités. Elle a été une porte ouverte sur une multitude de réflexions que je partage avec vous.
Les invités de l’émission :
Nous avons quitté nos philosophes avec leur vision d’une maladie sèche. Une maladie sèche sous-entendue sans aucune connotation, sans métaphore, sans justification et sans cause, à laquelle, selon eux, il ne faudrait pas chercher de sens. Cependant ils concluent par la phrase suivante :
"Les remèdes qui proposent de ne pas regarder la souffrance ne sont pas des remèdes".
Ce qui me semble assez contradictoire avec leurs propos précédents !
Mes réflexions :
En effet, la maladie est la maladie, c’est tout à fait clair. Mais que penser de cette phrase qui semble être une évidence pour les philosophes invités ? "Le remède qui propose de ne pas regarder la souffrance n’a pas de sens". En écoutant ce propos, je ne comprends plus les philosophes ! Ils ne veulent pas donner de sens à la souffrance pour éviter de trouver une "responsabilité", pour ne pas être positif à tout prix, pour ne pas chercher le bonheur à tout prix, etc… Je conçois tout cela, pourquoi pas, mais cette phrase ne vient-elle pas contredire leurs propos ?
Si je reprends leurs propos :
"Les remèdes qui proposent de ne pas regarder la souffrance ne sont pas des remèdes".
Cela voudrait clairement dire que le remède à la souffrance est de la regarder. Certes, mais précédemment ces mêmes philosophes soutiennent qu’il ne faut pas chercher de sens à la maladie, à la souffrance, ne chercher aucune connotation etc… Je me pose alors la question suivante : Comment peut-on regarder la souffrance, ou quelque chose d’autre d’ailleurs, sans avoir de pensées et sans avoir une idée qui émerge malgré nous ?
Pourquoi les philosophes invités disent-ils que la souffrance n’a pas de sens, et disent en même temps, que l’unique remède à la souffrance est de la regarder ? Que doit-on comprendre dans leurs propos ? Comment regarder quelque chose sans chercher à la comprendre ? Serait-ce la regarder pour l’accepter uniquement … Sans laisser aucune pensée émerger ? Serait-ce faire le vide ? Attitude du grand sage en méditation mais difficile à expérimenter pour la plupart d’entre nous. En effet, regarder quelque chose sans penser requiert d’avoir une capacité à faire le vide. C’est la méditation.
Serait-ce l’attitude du sage qui accepte son sort, que proposent les philosophes ? Je trouve dans cette approche une grande ouverture d’esprit, cependant cette attitude de vide intérieur a, en général, pour principe de rentrer dans un silence intérieur, pour accepter les situations, mais aussi pour regarder les choses en face avec lucidité et dans un dialogue intérieur, et la plupart du temps de mettre du sens dans tout ce que la vie donne à vivre. Un dialogue de soi à soi, dans le silence. Il s’agit d’une forme d’immobilité dans laquelle tout est en mouvement à l’intérieur du corps.
Mais qu’est-ce que la maladie ? Qu’est-ce qui détermine qu’à un moment donné on est malade ? La définition de l’OMS nous dit que la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en l’absence de maladie ou d’infirmité.
La définition du mot "maladie" dans le dictionnaire est : altération de la santé, des fonctions des êtres vivants (animaux et végétaux) en particulier quand une cause est connue (par opposition à syndrome).
Il est intéressant de constater que chacun défend constamment son point de vue et ses croyances en fonction de son milieu, d’une "position de départ", à partir de laquelle le paysage est décrit et observé. Pour imager ce propos, c’est comme si nous n’avions pas la capacité de voir une pièce dans son intégralité mais uniquement la partie éclairée, en oubliant que même ce que l’on ne voit pas, qui n’est pas encore éclairé existe quand même. Tout cela pour dire qu’il n’y a aucune raison de chercher un coupable à la maladie, lorsqu’elle arrive. Mais que, pour certaines personnes donner un sens à la maladie, à la souffrance, n’est pas forcément une recherche de culpabilité mais y donner un sens peut donner de la force. La force de se tenir debout et d’avoir envie de comprendre. Un peu comme des chercheurs. Il faut avoir fait cette expérience ou avoir la capacité de la faire pour réaliser qu’il y a une certaine jouissance à devenir l’explorateur de sa propre vie.
La maladie ne cherche pas à nous culpabiliser, elle ne cherche pas un coupable mais un interlocuteur, de nous à nous. Un interlocuteur avec notre Être, notre Âme, notre Esprit, notre Corps aussi … Et notre vécu au quotidien. La maladie comme une rupture d’équilibre …Non pas comme un « Dieu », venu de l’extérieur, accusateur, qui voudrait nous punir d’une faute ! Ce discours est totalement dépassé ! Reprendre le dialogue de soi à soi, c’est reprendre la liberté de se remettre au centre de sa propre vie, refaire les choix qui s’imposent ou que le corps nous impose ! L’idée n’étant pas de perdre ou gagner un combat, la maladie n’est pas l’ennemi. Il n’y a pas d’échec possible, contrairement à ce qui se dit …. La maladie peut anéantir, mais notre corps est notre véhicule sur la terre, il n’est pas un amoureux qui va nous quitter, s’il nous quitte c’est que nous quittons la terre.
Si nous poursuivons, nous ne sommes pas un corps, une espèce de masse inerte avec laquelle nous devons composer. Notre corps est fait de matière pensante, matière malléable en fonction des événements, du toucher, des soins, des mots que nous lui procurons. Comme nous l’avons vu dans le précédent article notre ADN est modifiable, les mots peuvent guérir les traumatismes. Il n’y a qu’un pas pour dire que les mots peuvent, peut-être aussi, guérir les maladies qui sont la conséquence d’un traumatisme. Les mots, guérisseurs des maux qui nous affectent. Le toucher thérapeutique, le drainage lymphatique, par la douceur qu’il prodigue pourraient également être un baume guérisseur.
Mais comment se déclenche la maladie ? Toutes les maladies sont-elles la conséquence d’un traumatisme ? la maladie étant un déséquilibre du corps, tout événement vécu comme traumatique ne pourrait-il pas alors déclencher une maladie ? Pourquoi certaines personnes tombent-elles malades et d’autres pas ? Pourquoi le système immunitaire est-il affaibli chez certains et pas chez d’autres ?
Mais revenons à la philosophie, notre point de départ. Si les mots sont un véhicule pour accepter le vécu, cela sous-entend qu’ils ont un impact sur notre corps, sur notre immunité. Les mots ont alors la capacité de nous donner assez de force pour accepter notre quotidien. Les mots, dans leur puissance, ont aussi le pouvoir de détruire. Ils sont aussi des véhicules aux drames, ils peuvent donner envie de disparaître et laisser sans voix en cas de forte émotion. Nous sommes des êtres qui se construisent par nos sens. L’auditif est aussi important que le gustatif ou le visuel. Les mots, comme les mets, sont une nourriture qui peut soit empoisonner, détruire, alourdir, soit nourrir, embellir, donner des ailes, donner des forces insoupçonnées…
J’espère que vous aurez eu du plaisir à me lire, que vous aurez eu envie de vous poser des questions et de trouver au fond de vous les réponses qui vous conviennent. Des réponses qui sont forcément justes et à respecter, car elles sont « vous », votre regard, la résultante de votre parcours à ce jour. Je me réjouis de vous retrouver dans quinze jours et de développer le thème de la maladie… Se poser quelques questions pour aborder ce domaine délicat sans culpabilité, sans victimisation et se donner la possibilité de faire l’expérience d’une autre vision des choses.
© Alice Duruz - 2020
Source
Emission Grand Bien vous fasse
Animateur :
Ali Rebeihi
Invités :
Laurence Devillairs (Professeure en philosophie)
Alexandre Lacroix (Directeur de la rédaction de « Philosophie magazine)