Aujourd’hui il est question de souffrance, je vous imagine prêts à cliquer pour vite passer à autre chose ! La souffrance, tout le monde l’a déjà goûtée, bon gré mal gré, alors à quoi bon en parler ? Et si en parler donnait la clef pour l’extirper ? Comme pour les deux articles précédents, je me fais l’invitée surprise et je participe au débat ! Prêts à me suivre ?
Les invités de l’émission :
Reprenons nos philosophes pour qui, il est important d’accepter notre condition humaine, comme une maladie que nous subissons et qui n’aurait aucun sens. Nous avons vu, dans le dernier article, qu’une autre vision était possible. Les chercheurs du Centre Universitaire de Genève ont découvert que notre ADN se voyait modifié sur au moins trois générations, après avoir subi des traumatismes. Observant, par ailleurs, l’impact des mots comme phénomène de guérison sur le corps. Il a également été constaté que tout le travail thérapeutique verbal pouvait contribuer, si ce n’est à la guérison, tout du moins à l’apaisement de la souffrance générée par le traumatisme.
Mes réflexions :
Les mots sont fascinants, ils voyagent, nous font voyager et maintenant sont porteurs d’une baguette magique. Ils ont le pouvoir de guérir ! Je me penche sur les mots eux-mêmes, que font-ils exactement ? Nous avons constaté dans le précédent article que les mots ont ce pouvoir de guérison. On sait qu’ils ont un impact sur le corps. Mais comment ?
Partons d’une situation simple et sans parler de thérapie, le mot, on le sait, va construire, blesser, détruire, émerveiller. Il est neutre mais, en fonction de l’interlocuteur, il va prendre un caractère unique.... L’enfant se construit à travers tous ses sens mais aussi à travers la parole qui va le modeler. Les silences, tout autant que les mots, auront un impact et développeront d’autres de nos sens. Mais revenons aux mots. Sur quoi les mots agissent -ils exactement ? Comment se fait-il que les mots aient le pouvoir de guérir un traumatisme, de modifier notre ADN puisqu’ils n‘ont pas le pouvoir d’effacer un souvenir ? Que touchent-ils exactement ? Le souvenir va donc rester en tête mais la souffrance va, elle, s’extérioriser par la parole. La parole sort du corps, il semblerait qu’elle fasse sortir également la souffrance qui l’accompagne.
Lorsque je fais un drainage lymphatique, un soin, je constate parfois que le corps donne des informations que la "tête" ne sait pas encore. Où sont inscrites ses informations ? C’est une forme de dialogue entre le corps, les cellules et le thérapeute. Mon travail consistant, parfois, à mettre en mots ce que le corps révèle ; des informations inscrites dans le corps et dans l’inconscient. Cette approche permet d’accompagner la personne vers une acceptation et une réconciliation de son corps. Le corps étant bien souvent le lieu où se logent toutes ses souffrances. Souffrances exprimées par du mal-être ou des maladies.
De ce fait, cette approche, ce besoin de prendre acte et chercher à prendre contact avec cette souffrance suggère une reprise de pouvoir de notre propre vie. Cette attitude n’a pas pour vocation de chercher à être positif à tout prix, comme le craignent et le laissent entendre les philosophes invités. Ce besoin de comprendre "d’où vient" la souffrance a pour vocation de chercher à être "bien" tout simplement, ou tout au moins, de vivre mieux que par le passé. De vivre mieux "avec" son passé.
Penser que la souffrance n’a pas de sens, c’est : ne pas permettre, ne pas donner une chance à celui qui vit avec la souffrance de pouvoir la déraciner. C’est la perte de son pouvoir, c’est se maintenir dans l’état de victime, c’est laisser la souffrance guider nos actes, nos pensées etc… Cependant, lorsque la souffrance est là, il n’y a pas à chercher un responsable.
En effet, mettre en lumière les éventuelles causes de la souffrance permet, bien souvent, de redonner sens et goût à la vie. Cela évite de se sentir un pantin à la merci de l’Univers, à la merci, tout court. Dire que la souffrance n’a pas de sens est aussi grave que de lui donner un sens accablant à tout prix, et d’affirmer que la personne a voulu consciemment aller mal ! ou qu’elle "paie" pour une faute commise.
Les invités de l’émission :
Selon les philosophes, la souffrance n’a pas de sens. Selon eux, c’est une insulte que de lui donner un sens.
Mes réflexions :
Comment justifier ces affirmations ? Sur quoi se base-t-ton pour dire que la souffrance n’a pas de sens ? Il n’y a, à mon sens, pas plus de droit de dire qu’elle n’a pas de sens, que de droit de dire qu’elle en a un. Je me fais l’avocat du diable en ouvrant les portes sur d’autres possibilités et d’autres réflexions.
Affirmer que la souffrance n’a pas de sens et qu’il est injurieux de chercher à lui donner un sens, c’est porter un jugement de valeur sur ceux qui choisissent d’y chercher un sens et qui prennent ce chemin pour arriver à vivre et pour accepter leur situation. Chercher à donner un sens n’est en aucun cas, chercher des coupables et des responsables. D’ailleurs, l’ouverture sur l’approche transgénérationnelle d’une situation permet de constater que, même le bourreau, a été victime de ces prédécesseurs. Cela n’ôte en rien sa faute, mais cela permet de mettre un peu de distance entre soi et l’événement, seule condition pour la guérison.
Ne pas chercher de sens ? Pourquoi ne pas chercher de sens ? De quoi avons-nous peur ? Avons-nous peur d’y voir une faute à payer pour d’autres vies ? Une faute à payer pour le choix de nos ancêtres ? A mon sens ce système de pensée est, en effet, réducteur, dangereux et destructeur… Et je dois dire assez simpliste. Bien sûr, on peut imaginer que nous avons choisi tel ou tel parcours pour traverser la vie, et alors, pourquoi toujours développer une vision manichéenne !!!
Et si nous reprenions un chemin de traverse pour envisager une autre option, une autre vision… sur laquelle vous pourriez méditer car il n’y a aucune raison de croire que ce regard, que je vous propose, soit une vérité en soi.
Partons de plusieurs citations et nous verrons combien il peut être intéressant de voir la vie sous différents angles. Ce petit détour va nous ramener à notre sujet, n’en doutez pas !
Revenons à notre vie, avec nos souffrances, nos maladies, nos joies mais avant cela retournons au début de celle-ci, à notre naissance. D’après les citations proposées, le hasard n’existerait pas vraiment et des liens de cause à effet seraient bien au cœur de toute vie. Si nous partons de ce postulat, l’enfant à naître dans une famille ne pourrait plus être considéré comme un hasard. Mais serait le fruit d’une rencontre, entre ses futurs parents et lui-même. Mais alors où chercher les raisons qui l’ont fait naître dans cette famille plutôt que dans une autre ? S’il n’y a pas de hasard, aurait-il choisi les parents, la famille et le parcours de vie qui sera le sien ? Dans ce cas, peut-on imaginer que l’enfant à naître soit une coquille vide qui arriverait dans une famille tout à fait inconnue par le fruit du hasard… Nous serions alors obligés de nous sentir à la merci de notre futur parcours de vie, sans aucun choix, sans aucun mot à dire. Se ressentir livrés au pur hasard, et se considérer comme des dés jetés sur le tapis, me semble plus angoissant que de faire face à des difficultés pour lesquelles nous serions "équipés". Imaginer que nous n’aurions aucun libre-arbitre, serait nous réduire à bien peu de chose !
Et si au contraire, nous imaginions que nous n’arrivions pas sur terre comme une coquille vide mais comme une coquille qui choisit des parents dont le génome va correspondre à un souhait et un chemin de vie que nous aurions choisi, avec tout ce qu’il comporte comme joies, comme peines, difficultés, souffrances, expériences etc…? Pourquoi voir ce chemin de vie en termes de bien et de mal, de faute à payer, en termes de dettes à payer par rapport à une autre vie !!! Pourquoi ne pas élever la pensée et imaginer tout simplement que nous avons choisi d’évoluer, de développer notre amour et notre force intérieure ? Force requise pour faire face à l’adversité, sans aucun doute. Il n’y a pas de culpabilité, de faute, d’échec ou de réussite, il y a un chemin à vivre et à savourer du mieux qu’on le peut avec ou sans maladie, dans la famille la plus adaptée pour développer et traverser le parcours de vie choisi. C’est une autre vision du monde, pas plus véridique ou erronée qu’une autre.
Seul notre regard va permettre, non pas forcément de donner un sens, mais de dire
"OUI" à ce qui est.
"OUI", c’est comme ça et j’accepte.
"OUI", Je souffre, mais je dis "OUI". Sans nourrir la souffrance, sans m’y complaire, sans l’utiliser pour me faire plaindre et obtenir de l’attention. Car dire
"Oui", c’est le premier et l’indispensable pas pour ne pas rester effondré à terre lorsque la souffrance nous terrasse.
Cependant, dès l’instant où nous considérons notre corps comme le dépositaire de notre vécu, le véhicule avec lequel il faudra traverser la vie, ne serait-il pas intéressant de savoir comment il fonctionne, pourquoi il "tousse" et va mal de temps en temps ? Et je fais un parallèle entre notre corps que nous habitons, souvent sans le connaître, et notre lieu de vie. Lorsque nous faisons l’acquisition d’un appartement ou d’une maison, nous viendrait-il à l’idée de ne pas ouvrir toutes les pièces sous prétexte que les meubles des anciens locataires (dans notre corps, ce seront nos ancêtres) y sont déposés ? Laisserions-nous pourrir les pommes qui sont dans la cave sous prétexte que ce n’est pas nous qui les y avons mises ? Avec cette attitude, que nous soyons d’accord ou pas, les pommes vont pourrir et c’est nous qui aurons à vivre avec ces mauvaise odeurs… C’est exactement ce qui se passe lorsqu’on reste sourd et aveugle à notre corps qui crie sa souffrance par des comportements et des maladies.
L’idée dans tout cela, même lorsque la souffrance est liée à un cancer ou une maladie grave est, non pas de donner du sens à la souffrance, mais de donner du sens à la vie, avec ou sans souffrance. C’est de pouvoir accepter de vivre avec la souffrance, si elle est là.
Donner du sens, ce n’est pas vouloir être positif à tout prix !! Quelle pression, une de plus ! Le bonheur à tout prix est aussi dangereux que le laxisme et le "victimisme". Il serait plutôt intéressant de "s’appuyer" sur la situation, quelle qu’elle soit, pour "explorer" et retrouver l’envie de vivre. Puisque nous sommes sur terre, autant voyager le mieux possible. Il ne s’agit pas d’être des héros. Il n’y a pas de combat, en effet. Il s’agit de se remettre au centre de sa vie.
En l’occurrence, pour avoir soigné des corps depuis plus de quarante ans, et continuant à le faire encore actuellement, j’ai une grande humilité et un grand respect face au corps qui se présente sous mes mains lorsque je fais un drainage lymphatique auquel j’associe toutes les connaissances acquises. Par expérience, je sais qu’il ne sert à rien de rentrer dans une forme de combat avec le corps qu’il soit en souffrance ou pas. L’accompagner avec douceur et bienveillance est la clef pour aider à traverser la vie qu’il nous est donné de vivre.
Nous sommes en voyage depuis plusieurs semaines, le printemps va bientôt arriver mais il est encore trop tôt pour discuter au gré de nos allées et venues en toges légères. Dans le prochain article, nous aborderons la maladie selon les philosophes… une ouverture supplémentaire au dialogue.
© Alice Duruz - 2020
Source :
Télé Journal-Suisse du 28 octobre 2014
Découverte Service de recherche Génétique : "La maltraitance laisse des séquelles psychiques cela se sait on découvre qu’elle laisse des traces biologiques".
Dr Ariane Giacobino (Service Génétique CHUG)
Dr Dora Knauer (Pédo-psychiatre) invitée sur le plateau
Emission : "Grand Bien vous fasse"
Animateur : Ali Rebeihi
Invités : Laurence Devillairs (Professeure en philosophie) & Alexandre Lacroix (Directeur de la rédaction de "Philosophie magazine")