Nous sommes de retour pour ce deuxième article, une thématique passionnante, qui nous laisse miroiter la possibilité d’en savoir toujours plus sur l’impact des pensées et des mots sur le corps. Allons pas à pas, au rythme de l’émission que je vous relate, sous forme d’échanges entre les invitées et moi-même.
Les invités de l’émission :
Nous voici au cœur de la vie. Selon les philosophes, vivre est une maladie dont il faut guérir. La philosophie dans ce sens est déprimante. Voilà ce qu’elle nous dit : "dans la vie, il nous faut consentir à plein de choses abstraites alors que nous n’avons rien demandé, nous n’avons pas demandé à être là, nous n’avons pas demandé le corps qu’on a, etc.."!
Pour la philosophe invitée, il est insultant de donner un sens à la souffrance. L’erreur actuelle étant de vouloir consoler à tout prix, montrer que l’échec n’est pas un échec, donner du sens à ce qui n’en a pas, selon elle, comme donner du sens à la souffrance. "Nous avons tendance à trop vouloir consoler et être des héros". La difficulté étant d’accepter ce qui ne fait pas partie de notre consentement, comme le fait d’être sur terre avec le corps qu’on a etc… On n’est pas maître de son destin. On a la tête qu’on a et c’est arbitraire…
Mes réflexions :
Cet énoncé, lorsque je l’ai entendu, m’a laissé perplexe, non pas par ce qui est dit mais le ton affirmatif utilisé. Je dois dire que tous les propos qui se veulent des affirmations, des vérités, mêmes s’ils viennent de personnalités connues et ayant une certaine notoriété, m’interpellent. Comment pouvons-nous affirmer que nous n’avons aucun consentement à notre existence, et comment affirmer le contraire ? Qui le sait ? Bien sûr, dire que nous sommes obligés d’accepter notre condition terrestre, avec l’idée que nous n’avons pas demandé à être sur terre, demande un travail d’acceptation. En effet, cela peut réveiller la sensation d’être soumis à des forces qui nous dépassent, une certaine sensation d’impuissance. Cependant, cette manière de voir notre vie peut nous faire glisser dans une forme de léthargie, et nous figer comme une victime des faits. Victime de notre destin, victime de la forme du corps, victime de la famille dans laquelle nous sommes nés, victime du milieu socio-culturel dont nous sommes issus. Mais être victime, s’oppose automatiquement à être un héros. Peut-on accepter le corps qu’on a sans se sentir victime ?
La philosophe nous dit que nous n’avons pas à être héroïque, à chercher à trouver du sens à ce qui nous arrive, car cela nous met dans une situation d’échec si nous ne parvenons pas à aller bien! Mais si on ne veut pas se mettre en position de héros faut-il, pour autant, se positionner en victime de notre "soi-disant destin" ? La question est alors posée puisque nous sommes tous d’accord sur le fait qu’il faut accepter la situation. Mais accepter dans quel état d’esprit ? En se positionnant en maître à penser, pour soi-même, ou en victime de son destin, de sa souffrance, de son apparence ?
En effet, quelle est notre part de destin et notre part de libre arbitre. C’est la question fondamentale et existentielle que l’on se pose depuis des siècles. Bien sûr, nous arrivons avec ce corps, cette forme de visage, Il semblerait que l’on n’y puisse rien... Mais alors pourquoi ? Pourquoi sommes-nous comme nous sommes ?
Chercher à donner sens, pour beaucoup, ce n’est pas chercher à être héroïque mais peut-être à éviter de se sentir victime de sa vie, de son corps… "Sortir" du statut de victime est peut-être une possibilité, une porte qui s’ouvre sur un horizon et qui permet d’éviter de sombrer dans la dépression qui va souvent avec le sentiment que rien n’a du sens et que tout s’abat sur nous. Finalement, qu’il y ait du sens ou pas, se positionner en cherchant du sens permet tout simplement de changer notre regard sur la vie et de voir se profiler à l’horizon, la possibilité de se pendre la main, de sortir de l’impuissance totale. C’est la possibilité de reprendre, un peu, son destin en main avec les composantes de départ. Se prendre soi-même par la main et ne pas laisser filer la vie, comme si nous étions des pantins entre les mains d’un "grand Dieu méchant" qui tirerait les ficelles de notre destin et nous obligerait à subir la vie, le corps…etc, que l’on a.
La question se pose depuis des siècles... et elle est toujours d’actualité. Dans quelle mesure nos choix, qui peuvent être la résultante de la forme de notre corps et de nos pensées, sont-ils le résultat de notre libre-arbitre ou pas. Nos choix sont-ils déterminés par notre destin, par notre généalogie ? Notre destinée est-elle la part avec laquelle nous arrivons sur terre. Tout est-il déjà inscrit ? Nos choix de vie sont-ils inscrits dans notre destin ou vont-ils modifier notre destin ? Dans ce cas, chercher à mettre un éclairage permet de ne plus se positionner comme victime ou héros, mais plutôt comme chercheur. Est-ce l’acceptation de notre destin qui va permettre de le transformer et de le vivre tout simplement ? Accepter son destin est-il contradictoire avec donner un sens à son vécu ? Faut-il vouloir changer quelque chose ? Ou faut-il se résigner ?
Nous allons constater qu’il est indispensable d’accepter. Bien que les philosophes pensent que la vie soit une succession de contraintes et que donner du sens à la souffrance soit inacceptable, comprendre les raisons d’un traumatisme, va permettre de le guérir, de guérir. Les mots sont alors indispensables dans cette démarche de guérison.
Le corps que nous avons n’est pas forcément le fruit du hasard. Et si hasard il y a, quel mal y a-t-il à chercher à comprendre, par un autre biais que celui proposé par la philosophie, si celui-ci permet de donner un élan de vie.
Les invités de l’émission :
Les philosophes invités proposent l’acceptation sans chercher le sens à ce qui arrive, de peur de se mettre en échec si nous ne nous en "sortons pas"… La recherche du positif à tout prix étant à bannir.
Mes réflexions :
Sans chercher à être dans le positif à tout prix, nous allons, grâce aux découvertes scientifiques faites récemment, constater que chercher du sens permet parfois de sortir de la souffrance. La souffrance peut disparaître ou ne pas disparaître, ce qui sera important ne sera pas le résultat mais le côté libérateur et déculpabilisant qu’il y a à chercher du sens. Vous allez le constater par vous-même, c’est passionnant. Des portes se sont ouvertes grâce aux découvertes que je vais vous relater.
Elles ont été faites en 2014 (voir le lien ci-dessous.) L’équipe de recherche du service de génétique au Centre Hospitalier Universitaire de Genève a pu démontrer que l’impact d’un traumatisme modifie le génome. Et cela sur plusieurs générations. Vous vous demandez où est le lien avec les mots ? Patience nous allons y venir!
Ils ont donné l’exemple d’une grand-mère, de sa fille et de sa petite-fille. La petite-fille est née d’un viol du père sur la fille. La petite-fille, qui n’a pas subi le traumatisme, est porteuse sur son gène de la plus forte expression du traumatisme. La grand-mère et la fille ont également leur génome modifié. La grand-mère qui n’a pas subi le traumatisme physique elle-même, a été impactée par le traumatisme physique et psychique qu’a vécu sa fille, ainsi que par le traumatisme psychique qu’elle a vécu elle-même. Son ADN s’est également modifié et porte la trace du traumatisme vécu par sa fille.
Dans une situation comme celle-ci, Il a été constaté que le travail thérapeutique des psychiatres, des psychologues, à l’aide des mots est un des moyens de parvenir à la guérison ou tout du moins à l’apaisement du traumatisme. Différentes étapes seront nécessaires.
Et pour nous, en tant que thérapeute, notre travail d’accompagnement par une approche corporelle de toucher, consistera à permettre au patient de reprendre contact avec son corps. Le drainage lymphatique, comme toute autre technique de toucher, permettra au patient de se "ré-apprivoiser", de se reconnecter avec son corps, siège du traumatisme, et petit à petit d’accepter son corps. Le travail multidisciplinaire, de psychiatres, psychologues, thérapeutes spécialisés dans le toucher, sera dans cette situation indispensable pour favoriser la guérison. En effet, le corps qui est le siège et l’expression du traumatisme, criera sa souffrance par tous ses sens. Il l’exprimera, parfois, par des problèmes comportementaux mais également par des pathologies diverses. Sans chercher des explications constantes dans le passé pour chercher un coupable, connaître les raisons, et donner un sens à la maladie est parfois le premier pas pour éviter de se croire fou en ayant la sensation de subir une vie sans espoir. Cette étude montre bien que nous sommes des corps, mais pas des corps inertes, comme je le dis souvent. Nous sommes des corps emplis d’informations.
La bonne nouvelle c’est que les informations de départ, grâce à un travail thérapeutique, peuvent être modifiées. Les nouvelles informations vont reprogrammer notre ADN et modifier les marqueurs. Ce qui sous-entend modifier les comportements des personnes traumatisées et malades, vers plus de bien-être physique et psychique. Ceci étant également valable pour tout un chacun n’ayant pas forcément subi de traumatismes aussi importants.
Il est possible de ne pas avoir besoin d’aller chercher l’information, il est possible de tout nier, mais il est également possible d’aller chercher l’information, si cela est nécessaire, pour aller mieux sans que ce soit une quête de positif à tout prix.
Comme le dit la pédo-psychiatre invitée à l’émission du télé-journal suisse du 28 octobre 2014, la Dr Dora Knauer, "comprendre et mettre des mots le plus tôt possible sur des traumatismes peut permettre d’en guérir et éviter des souffrances qui ne feront qu’augmenter avec le temps".
En effet, la souffrance n’a pas de sens, dans le sens où elle n’est pas à cultiver, mais elle a parfois du sens et il est préférable de le trouver pour guérir et donner envie de vivre!
Ne pas vouloir donner sens à la souffrance est une option comme un autre, mais nier la souffrance, en niant les racines de celles-ci peut avoir des conséquences importantes. Nier les racines, c’est prendre le risque de voir ces racines augmenter, avec un arbre généalogique aux fruits tristes ou amères. Ne pas chercher à comprendre pourra donner, aux personnes dans cette situation, la sensation d’être accablées et engluées dans une situation qu’elles ne comprennent pas elles-mêmes. Complètement victimes de la situation et du vécu trans-générationnel sans pouvoir être "parties prenantes" de leur vie, sans aucun espoir de s’en sortir, car ne sachant pas pourquoi elles vont si mal. Sans espoir de vivre allégées du poids et du fardeau physique, psychique, émotionnel etc...
Alors oui, chercher un sens ne signifie pas faire le héros, mais peut permettre de comprendre que nous ne sommes pas responsables, que nous sommes tous la résultante d’une généalogie, et que les mystères de chaque arbre généalogique peuvent avoir des conséquences plus ou moins graves. Tous les psychiatres, les psychologues le savent et c’est maintenant confirmé par la science, ne pas chercher à guérir et donner du sens à une souffrance, c’est entrer dans l’évitement, tout à fait louable si on ne peut pas faire autrement, mais ce n’est que partie remise pour les générations suivantes qui porterons dans leur génome la trace de la souffrance et du traumatisme transmis. Ce traumatisme s’exprimera par la forme du corps, les fragilités avec lesquelles nous arrivons, les maladies que nous exprimons etc… Mais l’espoir est de mise, comme nous l’avons constaté, tout est toujours possible à qui souhaite et peut regarder les choses en face.
J’en reviens aux philosophies de tous les temps! Accepter et voir la réalité en face pour sortir du déni et du refoulement. Pour permettre au corps et à l’esprit d’avancer allégés de fardeaux. La question reste posée. Y-a-t-il un réel hasard à tout cela ? Y-a-t-il un réel hasard à arriver dans une famille plutôt qu’une autre ? Y-a-t-il un réel hasard à avoir cette forme de corps plutôt qu’une autre ? Y-a-t-il un réel hasard à avoir les parents que nous avons avec l’histoire de famille et le génome qui va avec ? Chacun répondra, comme toujours, à ces questions en fonction de ses croyances.
Dans l’article suivant nous verrons comment les mots nous guérissent et pourquoi.
© Alice Duruz - 2020
Source :
Télé Journal-Suisse du 28 octobre 2014
Découverte Service de recherche Génétique : "La maltraitance laisse des séquelles psychiques cela se sait on découvre qu’elle laisse des traces biologiques".
Dr Ariane Giacobino (Service Génétique CHUG)
Dr Dora Knauer (Pédo-psychiatre) invitée sur le plateau
Emission : "Grand Bien vous fasse"
Animateur : Ali Rebeihi
Invités : Laurence Devillairs (Professeure en philosophie) & Alexandre Lacroix (Directeur de la rédaction de "Philosophie magazine")