Ce matin le temps est à l’honneur ! Je ne vous parle pas de météo… mais du temps après lequel nous courrons tous. Une émission riche et intéressante à écouter sur France inter. Mais pourquoi ai-je choisi de vous parler du temps ? Le sujet est tellement vaste ? On peut l’aborder par des angles tellement multiples !!
Il va falloir que je me discipline pour ne choisir qu’une ou deux pistes…Mais vais-je y arriver ? Il y a tellement à dire sur le temps, que le sujet occupe les philosophes depuis la nuit des temps ! Et comme le dit le sociologue allemand Hartmut Rosa, nous sommes dans une frénésie et nos rythmes s’accélèrent. Face à une accélération technique, sociale et existentielle, comment faire pour ne pas perdre pied ?
Nous avons quatre fois plus de temps qu’il y a un siècle, et pourtant, nous sommes nombreux à avoir la sensation de manquer de temps. C’est le mal du siècle au même titre que le mal du dos.
Mais que s’est-il passé ? Depuis l’avènement de la société industrielle et l’arrivée de l’électricité le temps nous manque. Nous avons rempli notre temps libre d’activés, de plus en plus d’activités. Nous avons multiplié les activités à faire dans une journée, et nous avons également augmenté le nombre d’activités que nous faisons dans une vie, et ainsi vivons plusieurs vies en une.
Il y a quelques centaines d’années, avant l’arrivée de l’hygiène et des antibiotiques dans la médecine, l’homme vivait en moyenne 25 ans en 1750, 37 ans en 1810 et 45 ans dans les années 1900. Actuellement notre espérance de vie est d’environ 82 ans.
Cependant, ces 25, 37, ou même 45 années de vie, qui actuellement nous semblent être très courtes, étaient investies d’une tâche principale. Nos ancêtres s’identifiaient à une action, c’était l’ouvrage d’une vie. Ils faisaient un métier, qui les remplissait et qui devait les mener à l’éternité. Ils vivaient dans l’obstination, que « l’accomplissement » de leur vie passait par cette tâche menée à bien, et persuadés que s’ils y mettaient tout leur cœur, elle les mènerait à l’éternité. Ils vivaient dans l’espoir de la tâche bien faite, qui leur ouvrirait les portes du paradis. Les Hommes faisaient un métier, avait chacun un rôle déterminé dans la société où tous, riches ou pauvres, avaient cette certitude que le paradis serait à leur portée, s’ils restaient fidèles à ce pourquoi ils étaient nés. De génération en génération, le fils du cordonnier devenait cordonnier, le fils du châtelain, devenait châtelain à son tour. La vie sur terre était l’occasion de faire de son mieux pour gagner l’au-delà. Le héros accomplissait un acte de bravoure, qui même s’il le menait à la mort, garantissait une sensation d’accomplissement. La foi était au centre de leur vie. Cela a duré des siècles, mais l’industrialisation, les bouleversements économiques, l’attitude de l’église et toutes sortes de paramètres (et c’est un autre sujet) ont transformé nos vies. La perte de foi s’est couplée à une connexion toujours plus grande. Le téléphone portable, devenu l’incontournable objet à posséder pour rester en lien au monde est, actuellement, notre plus grande dépendance, notre fil à la patte… Serions-nous devenus des esclaves, enchaînés à notre tortionnaire ! On est en plein syndrome de Stockholm !!! J’arrête là, si ça continue on va se faire peur !!
Prenons une route plus légère, on abordera le syndrome de Stockholm quand nous serons prêts … là, il faut que j’encaisse ce que je viens de réaliser.
Mais revenons à nos moutons, nous parlions de foi ! et surtout de la perte de foi, qui petit à petit a été remplacée par la technologie. L’homme ne s’accomplit plus à travers la tâche d’une vie, il le fait via les réseaux sociaux, internet, etc… Il s’accomplit au quotidien, dans une soif de réussite immédiate. Il n’attend plus la récompense de l’éternel, mais celles de ses compatriotes, à travers la reconnaissance qu’il va en soutirer. Une multitude d’activités, qu’il va faire au quotidien, vont lui permettre de sentir naître en lui une certaine satisfaction. Nous avons tout simplement modifié notre rapport au temps.
Nous sommes tous en manque de temps, tout s’accélère autour de nous, et nous sommes tous partie pris de ce mouvement. Responsable de nos vies, de nos choix. Mais comment faire pour ralentir, quant aux yeux de la société, dans le regard de l’autre, et dans le nôtre également, la suractivité, la surexcitation sont portées aux nues, comme une nouvelle vertu ! Quelle n’est pas l’admiration que suscite celui qui mène plusieurs vies dans une vie, voire plusieurs vies dans une journée !
Il suffit d’observer les femmes à l’heure actuelle. Quand dans les années soixante, elles étaient cantonnées à leur rôle d’épouse, et par extension de mère. Et oui, elles restaient à la maison, même sans enfants ! Est-ce encore envisageable ? Tout leur temps était consacré à la gestion de l’intérieur, du ménage. Petit à petit, l’activité professionnelle est entrée dans nos vies, mais tous les autres rôles sont restés en place et c’était avec fierté que la femme des années 80 menait tout de front, comme une bataille gagnée sur le monde. Mais qu’a-t-elle gagné au juste ? Et de nouveau, un sujet en amène un autre… Mais en est-ce vraiment un autre sujet ? nous parlions bien du temps ? On est donc largement dans le sujet. Car elles manquent cruellement de temps, et je les vois courir toute la journée.
Courir pour tout assumer, courir pour être parfaites, courir pour véhiculer leurs enfants qui eux-mêmes courent d’une activité à une autre. Le temps nous manquerait-il par peur ? Ce besoin de courir, d’accumuler les activités, de tout remplir sans cesse serait-il un moyen d’éviter la peur du vide ? Aucun espace pour s’ennuyer ! le mot est lâché. L’ennui, fait peur ! Mais quand on sait combien laisser l’enfant s’ennuyer est bénéfique, comme il va lui permettre de rêver sa vie. Quand on sait que rêver sa vie, c’est mettre en place des jalons, des objectifs, qui plus tard, seront leur moteur, leur enthousiasme. Pourquoi le vide fait-il peur aujourd’hui ?
L’ennui est bénéfique, il structure, il développe l’imagination, la mémoire… Il permet à l’enfant d’apprendre très tôt à faire face au vide, à faire face à ses peurs, ses joies, ses silences. Il fera l’apprentissage, du bien-être que l’on éprouve à tout arrêter pour observer. Car tout arrêter, c’est aussi arrêter son mental toujours actif. C’est arrêter de tout remplir, de nous remplir de tout et stopper cette tendance à la surconsommation. Elle nous guette tous, car se remplir, d’activités, de nourriture, d’achats, a quelque chose de rassurant. L’ennui, c’est aussi être seul, face à sa solitude et faire l’expérience de la séparation. Est-ce notre peur du temps qui passe, du temps incontrôlable, qui rend l’adulte inquiet au point de projeter sur l’enfant son besoin de tout remplir, de se remplir ? J’ai donné l’exemple des femmes que je vois, mais à l’heure actuelle les hommes sont dans le même cercle infernal ! Nous n’avons plus rien à nous envier les uns les autres.
Une journée reste, malgré tout, une journée de 24h, que nous remplissons toujours plus. Nous la remplissons d’activités multiples, de réponses aux mails, réponses aux messages, FaceBook, Instagram… Et comme si cela ne suffisait pas, parce qu’il faut rester en bonne santé, c’est quand même l’injonction…, qui oserait tomber malade sans culpabilité actuellement ! Alors nous n’hésitons pas à ajouter des séances sport pour la maintenir.
Et parce qu’une vie sans loisirs n’est pas une vie, parce que nos vies sont trépidantes, et surtout stressantes sur tous les plans, que nous avons besoin d’un exutoire, nous n’hésitons pas à ajouter une bonne dose de loisirs… actifs … s’il vous plaît ! Le tout sera ajouté à nos journées sans fin ! Le but final étant de rester en bonne santé et de se détendre !!! Mais n’est-ce pas paradoxal ? Que reste -t-il comme espace-temps pour se reposer ? Quand se reposer ? Quand rêver ?
Attention je ne vous laisse pas encore reprendre votre souffle, parce que nous sommes en pleine frénésie, le pire est à venir ! Incroyable mais vrai, nous manquons de temps et nous apprenons que nos journées ne sont plus de 24h en réalité !! Elles se sont écourtées avec le temps ! scientifiquement prouvé. Avions-nous encore besoin de ça ! Mais c’est l’oppression.
Nous voilà asphyxiés de toute part, toujours plus d’activités, toujours plus de pression, des journées qui ne font plus 24h, et malgré tout, nous continuons à entretenir notre dépendance à nos drogues ! Car il s’agit bien de drogue dont on parle, puisque nous sommes dans le cycle infernal de l’agenda plein, de la multiplication des échanges, messages, mails, le tout synonyme d’une vie riche et rassurante. Et bien souvent, c’est à cause d’un problème de santé que cette folie va s’arrêter. Quand je dépeins le tableau, je me fais peur ! Heureusement, chacun va trouver des stratégies pour ne pas finir en hôpital psychiatrique.
On est en manque de temps, comment est-ce possible ? Nous avons vu que nous travaillons moins qu’avant ! Mais est-ce bien certain ? Les activités privées et professionnelles se mêlent et s’entremêlent. Le week-end, les soirées sont parfois occupées par autre chose que du repos. Mais pourquoi cette frénésie ? Serions-nous si fous de vouloir aller à notre perte avec autant de persévérance ?
Heureusement, l’humain ne cessera de nous étonner et nous verrons dans les prochains articles que tout n’est pas perdu ! loin de là ! une multitude de possibilités s’offrent à nous. Et si cet excès de vitesse était la porte ouverte à une autre recherche ? Et si cet excès de vitesse était finalement notre planche de salut ? Vous voulez en savoir plus ? Découvrez les réponses dans le prochain article de la Collection 2 - Le Temps – Où vont nos énergies ?
© Alice Duruz - 2019
Information sur le Média :
France Inter
Grand Bien vous fasse animée par Ali Rebeihi
A quelle vitesse faut-il vivre ?
Invités :
Martin Legros
Rédacteur en chef de Philosophie Magazine
David Le Breton
Anthropologue et sociologue, auteur de Marcher.
Éloge de chemins et de la lenteur et Disparaître de soi une tentation contemporaine, Edition Métailié
Christilla Pellé-Douël
Journaliste Psychologie magazine
Auteur de "Ces livres qui nous font du bien", Edition Marabout
Proposition de livre :
Du bon Usage de la lenteur
Pierre Sansot, collection Rivages-Poche